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LA VILLA TINA RACONTE...

Où il est question de vélo, de touristes suisses et du Mont Ventoux

VillaTinaRaconte6VillaTinaRaconte12Ils arrivèrent à 9 à la Villa Tina, les voitures chargées et surmontées de vélos rutilants, de route, de course et de VTT. C’était la veille de la Fête de l’Ascension. Une coïncidence ? Sans doute, mais le week-end de l’Ascension est propice aux déplacements de nos voisins. Neuf cyclistes, hommes et femmes, heureux de retrouver la Provence, heureux de revoir ce Mont Ventoux que chacun rêve d’escalader à vélo. Nos voisins, de par le Rhône, nos voisins d’Helvétie, sont mordus de la Provence, amoureux de son ciel et de ses couleurs, adeptes de randonnées et de courses à pied et à vélo. La montée du mont Ventoux est donc programmée  en ce long week-end de l’Ascension.
Les vélos mis à terre, et après une dégustation inévitable et fortement appréciée de vin rosé sous les pins, chacun se mit en demeure d’étudier les cartes et fiches cyclistes décrivant les différentes routes qui permettent l’escalade du Géant de Provence. Certains optaient pour la route partant de Malaucène, d’autres pour celle de Bedoin, un adepte du VTT sélectionnait la 4ème route, celle qui monte abruptement sur le côté sud. D’autres reconnaissaient que le départ de Sault proposait un entraînement de qualité avant d’emprunter la route en lacets qui part du Chalet Reynard. Les discussions étaient vives, réfléchies, avec un fort accent de leur beau terroir, quelque peu différent de celui de Provence, chantant et mélodieux.


VillaTinaRaconte1 VillaTinaRaconte5Le temps était beau, le mistral si redouté ne s’annonçait pas et laissait la région du Comtat Venaissin dans une douceur printanière, idéale pour une montée au Mont Ventoux dont on se rappellerait bien sûr toute sa vie et dont on sortirait fier et heureux.
  La réflexion était de mise. Chacun, chacune avait lu ou entendu des témoignages sur le Mont Ventoux. On disait même qu’il y avait eu mort d’homme, non pas seulement due à des substances illicites mais tout simplement due à un manque d’entraînement, de préparation, de concentration. Mais les Suisses, c’est bien connu, dans la grande majorité, est un peuple réfléchi, qui pèse le pour et le contre, qui ne se lance pas tête baissée dans l’aventure et qui, en outre, est respectueux de la montagne. Aussi, à main levée, il fut décidé que le lendemain ne serait pas le jour de la montée au Mont Ventoux, mais serait consacré à un entraînement en règle dans la région.

La colline du Paty au-dessus de Caromb ferait parfaitement l’affaire. Le VTTiste monterait dare-dare à la Chapelle Notre Dame des Victoires, également dénommée Chapelle du Paty, découvrant peut-être au passage les bories restaurées, alors que les autres depuis le Pont du Lauron, graviraient, la tête dans le guidon, les quelques kilomètres jusqu’au lac du Paty où là, bien sûr, les attendrait un verre de rosé ou une bière fraîche.


VillaTinaRaconte3 VillaTinaRaconte10Le jour J arriva. L’ascension du Mont Ventoux était enfin au programme. Les voitures furent dûment chargées et après un petit déjeuner riche en  vitamines et en céréales indispensables pour une montée optimale, les neuf Helvètes s’en furent, conscients de relever un défi de taille. Rendez-vous était donné au Chalet Vendran une fois l’ascension réalisée.
Le VTTiste, de nature sauvage et quelque peu bourrue, attaqua seul la rude montée depuis Bedoin. Apre et têtu dans son effort, puisant dans ses réserves, il parvint au sommet, le visage quelque peu défait. Sa grimace souriante en disait long sur la joie qu’il éprouvait au fond de lui-même d’avoir réussi ce qui lui avait paru impossible. C’était tout simplement sublime et il en était conscient.

 
Trois cyclistes étaient partis de Sault, sachant bien sûr que le nombre de kilomètres qu’ils faisaient en plus les pénaliserait dans leur effort à partir du Chalet Reynard. Mais la vue de la célèbre bâtisse redoubla leur énergie et courageusement, ils attaquèrent la fameuse route en lacets, qui commençait à être joliment chauffée par le soleil printanier. Se relayant comme il se doit, relevant parfois la tête, cherchant des yeux la tour de l’observatoire, phare de la Provence, ils arrivèrent indemnes au sommet, satisfaits de leur performance, reconnaissant que leur bonne forme physique était un atout de taille dans cette longue ascension.


VillaTinaRaconte2 Quatre autres cyclistes, adeptes du tracé traditionnel, quittèrent Bedoin. Ils dépassèrent Ste Colombe en sifflotant ou presque. Mais depuis le virage de Ste Estève, ils se rendirent compte que la montée avait commencé et qu’il fallait désormais appuyer régulièrement et fermement sur les pédales. La forêt de cèdres les accueillit et leur proposa une température des plus agréables. L’arrivée au Chalet Reynard leur redonna du courage. Mais l’un d’entre eux, à la surprise générale, posa le pied à terre et déclara à qui voulait bien l’entendre qu’il n’accepterait pas de se « déphosphater » davantage pour les beaux yeux du Mont Chauve.

 

 

 

VillaTinaRaconte4VillaTinaRaconte11C’était le rebelle de l’équipe et sa décision troubla quelque peu ses compatriotes. Mais connaissant l’indocile de longue date et après un petit signe de la main, les vaillants cyclistes se mirent à pédaler de plus belle et  hardiment montèrent la route en lacets. L’un d’entre eux s’amusa à les compter puis tout à son effort, ne se rappela plus du nombre obtenu. Un autre, surpris par un attroupement sur le bord de la route, s’aperçut que la stèle du champion Simpson était fleurie. Le haut du mont Ventoux était visible, encourageant, le ciel était d’un bleu intense, l’air devenait plus frais. Finalement les trois cyclistes restants, regroupés, arrivèrent au sommet, se congratulèrent mutuellement et admirèrent le paysage, des Alpes, qu’ils connaissaient bien, à la Méditerranée, aux Alpilles et aux Cévennes.



Le dernier cycliste avait choisi la route de Malaucène, tout simplement parce que ce parcours lui permettait de passer devant la Chapelle du Groseau qu’il salua respectueusement. Il pensait aussi que la montée de ce côté serait plus facile ou moins pénible. Il reconnut que le passage dans la forêt était remarquable, elle lui rappelait les forêts de son enfance, dans le Jura suisse, il pédalait courageusement, conscient que le fait d’être seul pour cette montée constituait un handicap et qu’il ne pouvait être relayé par un camarade.
VillaTinaRaconte8VillaTinaRaconte7Il ne se sentit guère encouragé lorsqu’au loin il aperçut la station du Mont Serein ; il ne savait pas très bien où se situait la station par rapport au sommet et ne possédait pas d’altimètre. Seules son opiniâtreté et sa volonté de réussir étaient présentes. Il transpirait terriblement et pourtant le soleil ne l’atteignait pas encore. Il pesta plusieurs fois lorsque des voitures confortables le dépassèrent en laissant des odeurs peu agréables dans leur sillage, mais se concentrant totalement sur son effort, il s’efforça de pédaler régulièrement tout en regardant la route. Il évita de se mettre en danseuse, cela n’aurait que contribué à couper le rythme. Alors parfois, pour se donner du courage, il imagina la boisson qu’il pourrait se faire servir, une fois arrivé au sommet. A plusieurs reprises il saisit sa gourde et s’aspergea le visage. C’était quelques secondes de répit dans une montée qui petit à petit tournait au supplice. Des personnes au bord de la route l’encouragèrent, on le prit même en photo alors qu’il avait dépassé la forêt et qu’il se trouvait, enfin, en vue du sommet. Ces petits détails humains lui firent le plus grand bien. Il retrouva alors l’énergie voulue pour parcourir les derniers hectomètres. Lorsqu’il arriva, extrêmement fatigué, voire épuisé, les lèvres exsangues, le regard perdu, il se dit alors que c’était le plus beau moment de sa vie. Il n’avait pas vaincu le Mont Ventoux. C’était le Mont Ventoux qui l’avait reçu et accueilli. Et de joie il se mit à pleurer.

06/02/2010